Entretien avec le Docteur Pierre Razoux

« La guerre de libération du Koweït a changé les équilibres régionaux »

Qui êtes-vous Dr Pierre Razoux ?

- Je suis directeur académique de l’Institut Fondation méditerranéenne d’études stratégiques (FMES), le think tank français de référence qui décrypte l’environnement stratégique et géopolitique en région MENA. Etant localisés à proximité de la base navale de Toulon, sur les rives de la Méditerranée, nous nous sentons particulièrement concernés par les questions de sécurité et de coopération en zone ANMO/MENA. J’ai publié dix ouvrages dont « The Iran-Iraq War (1980-1988) » chez Harvard University Press qui a obtenu en 2016 aux Etats-Unis le prix du meilleur ouvrage d’histoire militaire décerné par la Society for Military History.

Quelle a été la contribution de la France à la libération du Koweït ?

- La France, qui avait longtemps armé l’Irak pour empêcher que la République islamique d’Iran ne propage son régime théocratique dans la région, n’a pas toléré que les armements qu’elle avait livrés à Bagdad soient utilisés pour envahir le Koweït, qui a toujours été son ami. Dès les premiers jours de l’invasion irakienne, la France a soutenu le principe de la libération du Koweït et a envoyé dans le Golfe 19 000 hommes et notamment la division Daguet forte de 500 chars et blindés, appuyée par 60 avions de combat, 120 hélicoptères et 14 navires dont un porte-avions. L’aviation française a bombardé des objectifs irakiens déployés au Koweït. De son côté, division Daguet s’est battu en Irak mais a contribué à encercler l’armée irakienne piégée au Koweït, forçant celle-ci à se retirer. Nos forces spéciales en ont profité pour aider la résistance koweïtienne et ont contribué à sécuriser Koweït-City pour permettre le retour sur place des autorités koweïtiennes, mais aussi des ambassades dont la nôtre.

La guerre de libération du Koweït a-t-elle modifié les équilibres régionaux ?

- Oui bien sûr, car l’Irak a cessé ensuite d’être une menace réelle pour les pays de la région. L’armée de Saddam Hussein n’était plus alors qu’un épouvantail brandi par Israël et Washington. Ce vide de puissance a été comblé par l’Arabie saoudite qui a bénéficié aussi de l’affaiblissement notable de l’Iran à la suite de la guerre Iran-Irak. L’autre conséquence immédiate de la guerre de libération du Koweït, c’est que l’émirat qui refusait jusqu’alors toute présence de troupes étrangères sur son territoire, a changé d’avis et a multiplié les partenariats avec plusieurs armées étrangères. Cette guerre a surtout marqué l’effacement durable de la Russie et a ouvert une ère de 25 années de domination complète des Etats-Unis au Moyen-Orient. Cette période a été marquée par un regain de tensions entre l’Arabie saoudite, les Emirats arabes unis, Israël et les Etats-Unis d’un côté, et l’Iran de l’autre. Cet antagonisme a permis à certains dirigeants de faire diversion de leurs difficultés intérieures. En 2015, profitant de l’émergence de Daesh, de la menace d’effondrement de la Syrie et de la signature de l’accord nucléaire avec Téhéran (JCPOA), la Russie et l’Iran sont revenus dans le jeu, suivis de près par la Turquie.

Comment la relation franco-koweïtienne a-t-elle évolué entre 1990 et aujourd’hui ?

- Depuis 1991, la relation entre la France et le Koweït n’a cessé de se renforcer car les autorités françaises ont compris l’importance stratégique de cet émirat coincé entre trois des acteurs régionaux les plus influents : l’Arabie saoudite, l’Irak et l’Iran. Contrairement à certaines puissances régionales, le Koweït n’a jamais cherché à accroître les tensions dans la région ; au contraire, l’émirat a tout fait pour les réduire et permettre aux dirigeants des deux rives du Golfe de discuter pour apaiser ces tensions par la voie de la négociation. C’est la voie qui est également privilégiée par la diplomatie française. Sur le plan de la coopération militaire, la France est l’un des fournisseurs d’équipements de défense du Koweït depuis plus de 45 ans, d’abord dans le domaine terrestre (canons automoteurs AMX F3 et mortiers de 120 mm) et aériens (chasseurs Mirage F-1, hélicoptères antichars SA-342 Gazelle et hélicoptères de manœuvre), puis dans le domaine naval avec la livraison de patrouilleurs P-37. En ce moment, la France livre au Koweït des hélicoptères multirôle Caracal qui lui permettront d’avoir l’une des forces aéromobiles les plus efficaces du Golfe. Mais au-delà des ventes d’armes, c’est dans le domaine de l’entraînement et du dialogue stratégique que les armées koweïtiennes et françaises interagissent le plus efficacement ensemble. Cette coopération doit bien évidemment se poursuivre car le Koweït et la France partagent les mêmes intérêts de stabilisation de la région.

Dernière modification : 17/05/2021

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